A qui regarde les panneaux électoraux ces derniers jours au Luxembourg, une vision singulière est apparu récemment lors de cette campagne électorale européenne 2024. Aux abords du centre commercial Belle Etoile un grand panneau du parti Pirate arbore le message « Géint d’riets extrimismus » et « Fck Nazi ». Si l’on suit la politique luxembourgeoise depuis 2018 une telle déclaration produit au mieux un haussement de sourcil perplexe, au pire un fou rire incontrôlé.
Le parti Pirate, celui-là même qui se proclamait lors des élections législatives 2023 être un « supermarché politique », serait donc devenu un parti antifasciste ? Passons au-delà du comique de cette hypothèse pour nous pencher sérieusement sur sa crédibilité. En effet à l’heure où nombre de pays d’Europe voient l’extrême droite arriver au pouvoir, à l’heure même où la président de la Commission Européenne envisage une coalition avec l’extrême droite du groupe ECR (ADR au Luxembourg) pour briguer un deuxième mandat, la question de savoir qui est un allié dans la lutte antifasciste est une question on ne peut plus sérieuse.
Mais tout d’abord qu’est-ce que c’est le fascisme ? Le fascisme c’est une forme particulière de l’extrême droite. C'est-à-dire une idéologie politique basée sur la défense acharnée de l’ordre établi, l’opposition constante à tout groupe revendiquant de nouveaux droits, l’admiration de la force, l’établissement d’un « nous » ethnonationaliste qui s’oppose à un « eux » étranger, et l’appel à revenir à un passé fantasmé. Le fascisme historique se singularise cependant dans la famille réactionnaire par sa stratégie appuyée sur un mouvement de masse et n’hésite pas à utiliser la violence de rue pour établir sa domination de la société. Si l’extrême droite est bien présente au Luxembourg, dans la galaxie qui gravite autour de l’ADR, la stratégie fasciste n’est pas sa priorité pour le moment.
Mais du coup, ceci étant dit, qu’est-ce que l’antifascisme ? Comme son nom l’indique l’antifascisme est un mouvement qui s’oppose et combat la montée du fascisme. Comme l’antiracisme n’est pas la neutralité sur la question du racisme, mais la lutte ouverte et consciente contre lui, l’antifascisme n’est pas la neutralité face à l’extrême droite mais la lutte ouverte et consciente contre elle. L’un des premiers outils de lutte contre le fascisme est le « cordon sanitaire » qui a pour but de limiter l’influence que l’extrême droite peut prendre au niveau parlementaire ou associatif.
Sur ce premier outil, éminemment facile d’accès, il faut rappeler à l’électeurice du Luxembourg que le parti Pirate a failli sur toute la ligne entre 2018 et 2019. En effet pendant un peu plus d’une année le parti Pirate a formé un « groupe technique » à la Chambre des Députés avec le parti d’extrême droite ADR. Pendant cinq ans il a voulu faire oublier cette faute gravissime, et aujourd’hui encore la communication récente prouve que ce parti veut échapper à ses responsabilités sur ce sujet. Pourtant la formation d »un groupe parlementaire technique avec l’extrême droite n’a pas été sans conséquence. Grâce à cette association gagnant/gagnant le parti Pirate et l’ADR ont tous les deux bénéficiés de plus de temps de parole à la Chambre des Députés et de plus de financements. Par cette décision le parti Pirate a donc directement participé à renforcer la visibilité et les moyens financiers de l’extrême droite, tout ça pour servir son propre intérêt.
Le parti pirate en pleine action antifasciste lors de la signature de son alliance avec le parti d'extrême droite ADR.
Un autre outil bien identifié des antifa, c’est la lutte de rue et les contre-manifestations. A chaque fois que l’extrême droite tente de prendre pieds dans la rue, les groupes antifascistes tentent de s’y opposer. Cette modalité d’action n’est bien sûr pas sans danger, car les coups peuvent facilement partir lors de ces oppositions frontales. La seule action de ce genre qui ait vu le jour lors des 12 derniers mois a été l’opposition à la manifestation appelant à renforcer les pouvoirs de la police dans le quartier gare. Lors de cette manifestation, sans surprise pour celles et ceux qui s’y étaient opposé.e.s dès sa conception, l’extrême droite a pu parader en tête de cortège et renforcer la domination du discours sécuritaire à la veille des élections législatives d’octobre 2023. Face à cela une poignée de militant.e.s antifasciste se sont rassemblé.e.s sur le parcours de la manifestation pour en dénoncer le contenu réactionnaire. Où étaient les pirates ? Pas présents lors de cette action antifasciste en tout cas.
Reste que l’apport du Parti Pirate peut se trouver ailleurs. En effet la lutte antifasciste s’est toujours ancrée dans la lutte des classes. Au début des années 1920 quand le fascisme est apparu en Italie et en Allemagne des groupes issus des milieux socialistes, anarchistes, communistes et trotskystes ont rapidement décidé de faire cause commune pour se défendre. La défaite, comme souvent, vint quand il y eu division. Mais à cette variable de la division il faut aussi ajouter celle de l’échec à arracher des victoires conséquentes pour les classes populaires. En effet le fascisme et l’extrême droite prospèrent d’autant mieux quand la misère est grande. Des victoires pour les classes travailleuse dans lutte des classes représentent donc autant de murailles contre l’enracinement de l’extrême droite. On le voit très bien d’ailleurs en Wallonie où l’extrême droite n’a jusqu’à présent toujours pas réussi à prendre pieds, la faute à un PS qui cherche toujours à rester ancré à gauche. Prenons donc cet angle de vue, peut-être avons-nous raté des détails dans cette histoire, et voyons si par hasard nous nous sommes fourvoyés et le parti pirate est en fait antifasciste par ses positions déterminées en faveurs de la classe exploité dans la lutte des classes.
Un exemple récent sur lequel on peut commencer notre dernier sujet d’étude concerne l’accès au bureau de votes des classes populaires du Luxembourg. En effet la structure socio-économique du pays est telle que l’essentielle des classes populaires ne possèdent pas la nationalité. Dans ce régime censitaire de fait, tous les scrutins ne laissent pas une possibilité aux classes populaires de s’exprimer. L’un des scrutins qui présente la possibilité en question est celui des communales. Lors de la dernière élection en date, en 2023, une campagne avait été lancée à Luxembourg ville pour aider les résident.e.s non inscrit.e.s à s’inscrire pour voter. Toute formation avide de l’arrivée dans l’arène politique de franges de la population jusque là tenue à l’écart se serait réjouie de cette campagne. Pas les pirates qui ont préféré attaquer le parti Déi lénk, associé à cette campagne avec des citoyen.ne.s non encarté.e.s, en justice pour infraction du code électorale. Mais peut-être faisons-nous là preuve de mauvaise foi, et hors du cadre électorale le parti Pirate est sans doute plus ferme dans sa défense des travailleurs et travailleuses ! En 2023 toujours une grande grève a secoué le secteur de l’aérien. Lors de cette grève le parti pirate, délesté de la concurrence électorale, a enfin pu montrer son véritable visage et s’est affiché sans aucune ambiguïté sur le piquet de grève aux côtés des travailleurs et travailleuses en lutte !
Il s’agit bien sûr d’une plaisanterie. Le parti pirate par la voix du député Marc Goergen s’est en fait opposé au concept de grève de manière générale et par là même à cette grève précise en particulier.
Il en ressort donc que le parti pirate n’est ni présent dans les actions antifasciste, ni présent dans les luttes de la classe travailleuses qui sont pourtant des digues efficace contre l’extrême droite. Cette affichage à la veille des élections européennes se révèle donc n’être que ça…de l’affichage, de la com’. Pourtant l’antifascisme est une chose sérieuse, y compris au niveau européen. Le militant fédéraliste Altiero Spinelli, qui siégeait au groupe communiste du parlement européen, ne disait pas autre chose lorsqu’il prophétisait dans son manifeste de Ventotêne (écrit dans une prison fasciste pour le coup) que l’Europe ne serait libérée définitivement du fascisme que si elle était démocratique, fédérale et socialiste. Le parti pirate en est bien loin lui qui se proclame fièrement ni de droite ni de gauche. Or comme le dit le dicton quand on n’est ni de droite ni de gauche, on n’est généralement ni de gauche, ni de gauche.
Comme il n’y a que deux côté à une barricade il faut donc bien reconnaitre que le parti pirate n’a pas mérité pour l’instant, qui sait ce que l’avenir réserve, la mention d’allié dans la lutte antifasciste. Aussi à l’électeurice qui va devoir faire son choix le 9 juin, et qui a cœur la lutte contre l’extrême droite, l’avertissement est clair : Si on a affaire à un supermarché politique, comme le parti pirate aime se décrire, alors il importe de se souvenir que la grande distribution n’a jamais hésité à faire ce que fait le parti pirate, de la publicité mensongère.
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