Le collectif Rise for Climate s’est rendu au forum social européen organisé à Marseille entre le 26 et le 28 avril 2024. Il a participé à divers ateliers autour des stratégies de convergences entre écologie, lutte syndicale, paysanne et décoloniales.
La Friche de la Belle de Mai grouille d’activité en cette soirée du 26 avril 2024. A l’issue de cette première journée de discussion du forum social européen « European Common Space for Alternative » la liste des ateliers et des organisations qui y participent fait déjà tourner la tête. La CGT côtoie la Via Campesina, qui parle au Climate Action Network qui échange avec Attac avant de laisser sa place au Transnational Institute qui vient tout juste de quitter un atelier avec le think thank Transform Europe. La coalition à l’origine de cette rencontre revendique un héritage clair, celui du Forum Social Européen. L’objectif est tout à fait transparent aussi, construire une alternative aux crises multiples auxquelles les peuples font face en Europe et au niveau mondial. Le manifeste affiché sur le site se veut lucide « Le changement climatique, le parte de biodiversité, les inégalités sociales et économiques n’ont pas de frontières, ces phénomènes ont des causes et des effets au niveau mondial, notre réponse doit donc s’organiser au niveau mondial ». Le ton est donné.
Le lendemain les débats commencent de bon matin, comme par exemple celui sur l’émergence d’une écologie populaire. Les syndicalistes venu.e.s d’Espagne, de France ou du Brésil, du milieu de l’industrie ou de l’agriculture partagent nombre de point de vue commun. Celui sur lequel tout le monde s’accorde est que le Capitalisme réussit l’exploit de produire constamment plus que nécessaire sans jamais réussir à garantir une qualité de vie à tout le monde. Le gâchis est organisé, lâche la représentante de la Via Campesina, l’agriculture industrielle produit du gâchis en toute conscience car le but n’est pas de nourrir mais d’exporter. Même son de cloche chez les représentants des syndicats des travailleurs. Le capitalisme produit systématiquement plus que nécessaire car il doit garantir l’enrichissement croissant des actionnaires. Un rayon de soleil transperce le nuage des constats moroses. Jean Claude, un délégué de la CGT, raconte comment une usine des environs a été reprise en autogestion par les travailleurs et travailleuses. Iels produisent aujourd’hui du thé et des infusions, et toute les matières premières viennent de producteurs locaux. La réduction des lignes d’approvisionnement est dramatique. Mais il y a plus. Comme il n’y a plus d’obligation de travailler pour remplir les poches des actionnaires, les travailleurs et travailleuses ont pu augmenter leur salaire et améliorer leurs conditions de vie. La coopérative 1336, car c’est son nom, est prise en exemple de ce qu’une les travailleurs et travailleuses peuvent accomplir lorsqu’iels ne produisent plus pour engraisser des comptes en banques déjà richissimes, mais pour subvenir à une demande locale dans les respects de celles et ceux qui travaillent.
Les paroles fusent. L’atmosphère est à la fois électrique et studieuse. Tout au long de la journée les échanges se précisent. Deux espaces de vie sociale apparaissent comme des espaces de changement révolutionnaire. Les lieux de travail bien sûr, mais aussi les quartiers populaires, la politiste Fatima Ouassak est citée à trois reprises par trois personnes qui ne se connaissent pas lors d’un atelier. Dans la réunion plénière « Il n’y a pas de planète B » qui suit les délégué.e.s du sud global invitent à élargir les points de vue. Le Covid a montré, déclare une militante des Philippines, que les pays du Nord ne partageront pas les technologies qui peuvent sauver des vies. Il faut donc nous doter des capacités d’effectuer ces partages nous même. Shad Hammouri, doctoresse en droit à l’université de Kent nous rappelle de son côté que pour sauver la vie sur Terre, il faut se soucier de toutes les vies, y compris des vies palestiniennes. Elle pointe du doigt les livraisons de gaz israélien qui débarquent dans le port
de Marseille à quelque kilomètre à peine du lieu de réunion. Elle s’indigne que l’Europe continue à livrer du carburant pour avion à l’état Hébreux qui s’en sert pour poursuivre son entreprise génocidaire. Les mouvements sociaux doivent bloquer ces livraisons conclut-elle sous un tonnerre d’applaudissement.
Les ravages du colonialisme sont donc loin d’avoir disparus de la réalité de notre époque. La prise de conscience écologique, loin de déboucher automatiquement sur un monde plus juste, aggrave d’ores et déjà ce continuum colonial. C’est l’avertissement que porte David Maenda Kithoko, du collectif écologiste franco-congolais Génération Lumière. Il rappelle les chiffres, en République Démocratique du Congo plus de 40 000 enfants travaillent dans des mines, plus de 10 000 femmes sont violées par semaine, et toute cette violence, cette exploitation endémique résulte de l’extractivisme de minerais rares qui bénéficie au marché européen. « Votre transition écologique est le cauchemar de la RDC » souligne le militant, « nous voulons un avenir écologique aussi », reprend-il, « mais il faut tout d’abord définir une nouvelle manière d’habiter la Terre. » Pour faire entendre ce message le collectif invite les membres de la plénière à se joindre à une marche qui atteindra le Parlement Européen le
16 juillet 2024 lors de sa première session plénière après les élections.
Les élections justement sont un outil controversé lors de cette plénière. Une opposition surgit entre Britney un.e militant.e du réseau United for Climate Justice, et Claire Lejeune de l’Institut de la Boétie. Iel se souvient de la vague verte qui a suivi les grandes grèves étudiantes pour le climat de 2018/2019. « Notre camp a été naif » regrette-iel « Nous pensions qu’envoyer plus d’écologistes au Parlement Européen suffirait à obtenir les politiques nous voulions, nous avons eu tort, le réformisme a atteint sa limite et le système capitaliste ne se réformera pas lui-même. Nous devons changer d’échelle en terme de mobilisation ». Sa camarade de l’Institut de la Boétie, l’école de formation politique de la France Insoumise, accepte l’idée que les élections sont insuffisantes, mais récuse la conclusion qu’il faille laisser le champ libre à l’extrême droite et au bloc bourgeois dans la bataille électorale. Elle alerte sur la rupture définitive entre libéralisme et démocratie et sur la convergence accélérée entre la droite libérale et l’extrême droite. La victoire viendra par une convergence des luttes féministes, décoloniales, écologistes et sociales, mais elle ne viendra que par notre capacité à atteindre un très haut niveau de planification stratégique pour reconquérir du pouvoir populaire à tous les échelons.
La plénière se termine, les échanges se poursuivent tout au long de la journée et jusqu’au lendemain matin lors de l’Assemblée Générale. Les conclusions sont variées, mais ne font pas toujours l’objet de consensus, ni même de majorité. Les débats sur la lutte contre la militarisation et la lutte pour la paix sont particulièrement clivant, et ne parviennent pas à déboucher sur une position commune. Ceux sur la position de l’Europe dans un monde décolonisé ont été précédé par le rappel que le monde n’est pas décolonisé, à ce titre il nous appartient toujours de mener ce processus à bien. Un regretest d’ailleurs exprimé sur le déroulé du forum lui-même où les rapports de pouvoir coloniaux, racistes, classistes et patriarcaux étaient encore bien présents. Conclusion est approuvée qu’à l’avenir un effort supplémentaire doit-être fait pour expérimenter des processus plus égalitaire lors
d’un futur forum européen. L’avenir de ce forum semble être souhaité par une large majorité, le comité de pilotage doit être démocratisé pour mener cette mission à bien. Cela sera-t-il le cas ? Myriam Zekagh qui préside cette Assemblée Générale et qui a été l’une des chevilles ouvrières de ce forum le souhaite bien évidemment. Rendez-vous est donné pour de futures
réunions en ligne afin de vérifier si ce souhait est bien réel. Reste une lueur d’espoir. De nombreux espaces de lutte semblent tout à fait conscients de faire converger les stratégies entre les espaces et entre les pays. La lutte pour sortir des énergies fossiles, pour mettre fin au génocide à Gaza, pour briser les dominations coloniales ou le nouveau plan d’austérité européen semblent des points d’ancrages prometteurs. groupe de travail sur la démocratisation de la société via les luttes syndicales se termine même sur une phrase courte mais ô combien révélatrice du niveau de détermination qui pourrait naitre :
Il faut construire les capacités de déclenchement d’une grève au niveau européen.
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