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Aristide Nepo

Les vilains petits canards

Alors que des efforts sont menés pour préserver nos réserves en eau et renaturer les lits des rivières, la Table Ronde Asbl, une association de jeunes hommes bien sous tout rapport, ne trouve rien de mieux à faire que d'organiser un concours de canard en plastique dans l'Alzette. Le tout sous couvert d'un label qui se veut écologique et soutien à des associations dans un esprit "charitable et redoutable de bienfaisance de charité et de redoutabilité."


Vue de l'Alzette, transformée en piste de course pour canard en plastoc (Crédits : emancipation.lu)


Les plus vieux d'entre nous ont encore en tête cette petite musique, celle de la publicité pour des knackis qui accompagnait ces images d'un grand-père et son petit fils construisant une roue de moulin le long d'un ruisseau.

Nous avons aussi tous fait un jour ce jeu de lancer des bouts de bois en amont de la rivière, de courir pour voir lequel arriverait en tête avant un barrage ou une cascade.

Las, loin de cette vision bucolique et enfantine de la rivière, de sombres âmes n’ont rien trouvé de mieux comme amusement que de transformer la rivière en une piste de course pour canards en plastoc.

Et ils sont nombreux, les palmipèdes. 16 000 selon les organisateurs, qui pour une fois seront d’accord avec la police. Soit quand même 12% de la population humaine de la Ville de Luxembourg. Répartis sur 300 m de l’Alzette le long du parcours de la course.

Nous avons retrouvé le vainqueur de la course – le numéro 7207 – mais qui, comme il ne veut pas être un numéro, se fait appeler Grand Duke.



7207 alias le Grand Duke (Photo d’illustration – Istock Crédits : Adam Yee)


Monsieur le Grand Duke, quel est votre sentiment après cette victoire ?

C’est indescriptible, c’est tellement difficile de l’emporter devant 16 000 canards comme moi. Je me sens comme un spermatozoïde qui vient de féconder un ovule. J’ai pris un bon départ. J’avais la chance de partir sur le haut du panier. Puis j’ai essayé de trouver le bon filet de courant, éviter de me retrouver sur le bord de la rivière, il est si facile de s’échouer.


Après votre victoire vous avez posté sur Insta un message demandant la libération des canards en plastique et la fin de cette course. Ce n’est pas très fair-play de votre part ?

J’ai tout donné pour la victoire, car c’était le seul moyen de me faire entendre. Je ne supporte plus d’être enfermé toute l’année et de ressortir une fois par an pour polluer les rivières. L’eau est un bien trop précieux pour être l’objet de ce genre de course inutile.


L’argent gagné est pourtant destiné à des bonnes œuvres, en l’occurrence des associations comme Passerell, Stärekanner, De Leederwon ou la Fondation Wonschstär ?

C’est une bonne intention mais pourquoi ne pas faire une simple tombola ? Pourquoi sous prétexte de bonnes œuvres perturber le milieu aquatique, et l’encombrer de canards en plastique ? Si tous les sponsors donnaient l’équivalent de leurs cadeaux aux associations, on aurait plus de dons pour les associations et pas de pollution des eaux.


C’est pourtant désormais une course labellisée Green Event, ils ont un partenariat pour compenser les émissions carbone. Les organisateurs font des efforts pour réduire l’impact de la manifestation.

C’est du greenwashing pur et simple. Les critères sont assez minimaux. La meilleure façon de réduire l’impact, c’est de ne pas l’organiser du tout. On est dans une telle crise climatique que les efforts doivent porter sur la sobriété, l’efficacité et la transition vers de l’énergie renouvelable. L’évènement ne coche aucun des trois critères. Et c’est assez symbolique que le premier prix soit un gros SUV à moteur thermique de Volkswagen à 30 000 € l’unité. Je serais curieux de savoir si le programme de compensation prend en considération les émissions de ce véhicule.


Mais le pire dans tous ça, c’est que le spectacle plaît. Que les tickets sont vendus entièrement, que les gens viennent le samedi se retrouver à l’abbaye et se passionnent pour ces petits canards jaunes qui embêtent des poissons qui n’ont rien demandé. Cela en dit long sur une partie de notre société, ses besoins de prétextes pour soutenir des bonnes œuvres, se rassembler, se divertir et s’abrutir. Finalement, ce ne sont pas des canards qu’on fait courir, mais des pigeons.

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