Le sage montre la Lune …
Thimothée Parrique, chercheur en économie écologique et spécialiste de la décroissance et du post-capitalisme, était l’invité ce vendredi 11 octobre du Conseil Supérieur du Développement durable – Nohaltegsrot à l’occasion de son vingtième anniversaire. Après une intervention auprès des classes du lycée Athénée à Luxembourg-Ville et une conférence de presse avec les médias locaux, il a pu présenter devant une large audience le concept de décroissance, sa définition et les moyens d’y parvenir. Trois quarts d’heure passionnant, y compris pour les personnes familières du sujet car Parrique a une façon très didactique de présenter les éléments, à la fois simple et précise, en ayant en plus pris soin d’isoler les données spécifiques au Luxembourg.
Extrait de l’affiche annonçant la conférence (Source : CSDD Luxembourg)
… l’idiot regarde le doigt
S’en est suivi une table ronde lunaire. Où face à Parrique et au professeur de l’Université de Luxembourg Christian Schulz les panélistes jouaient les idiots utiles des apôtres de la croissance du PIB à tout prix. Où étaient-ils ces panélistes lors de la démonstration scientifique de Parrique pour affirmer : « Vous n’avez pas commenté la fin du graphique sur l’évolution de la croissance au Luxembourg. Nous sommes en décroissance. » confondant allégrement décroissance et récession alors que Parrique venait de montrer les différences entre les deux concepts.
Car la décroissance, ce n’est pas la récession. C’est le découplage entre la croissance d’un indicateur comme le PIB est son impact en termes d’émissions de CO2, de destruction de la biodiversité, d’utilisation des matériaux, etc. Un découplage absolu dans un monde où les débats sont démocratiques, contrairement à ce qui se passe dans un pays comme le Grand-Duché de Luxembourg où près de 70% des personnes contribuant à la richesse du pays ne sont pas admises à choisir les gens qui sont amenés à le diriger.
Le reste de la table ronde fut à l’avenant. « Ce que nous voulons, c’est augmenter notre prospérité » dit l’un des panélistes spécialiste de statistiques. « Non » s'exclama naturellement le public, qui, ayant lui suivi ce qu’avait dit Parrique quelques instants plus tôt, savait que ce qu’il fallait rechercher, c’était le bien être.
« Je suis d’accord avec vous » dit une autre panéliste avant de développer son propos et de s’entendre répliquer que « ce n’est pas du tout cela » par un Thimothée Parrique qui devait désespérer devant tant de médiocrité.
« Vous devriez aller voir comment cela se passe dans les entreprises » dit le manager associé dans un cabinet de consulting impliqué dans les Luxleaks, l’un des plus gros scandales de la place luxembourgeoise de ces dernières années. Parrique lui a gentiment indiqué que c’était son métier, à lui comme à des centaines d’autres scientifiques et chercheurs, de savoir ce qu’il se passe dans des entreprises.
Il y avait quelque part une sidération de voir le panel, qui pourtant n’arrivait pas à la cheville de Parrique, vouloir remettre en cause ces éléments scientifiques sur la base d’arguments du café du commerce.
Extrait LinkedIn – 25 octobre 2024
« Notre modèle prouve que nous sommes en bonne voie d’atteindre dans les temps les objectifs de la commission européenne en termes de réduction des gaz à effet de serre » oubliant que ce n’était pas le seul critère et que ce modèle ne tenait pas compte de l’acidification des océans, des pollutions chimiques, du nombre d’espèces menacées, du volume d’eau prélevée et des surfaces artificialisées. Pourtant, Parrique dans son exposé avait prévenu, reprenant l’image d’un Rubik's Cube, dont il est facile de couvrir une face d’une même couleur, énormément plus compliqué de le résoudre intégralement.
Ce schéma a tellement été reproduit au cours de la conférence, qu'il serait lassant de reprendre toutes les bêtises émises par nos 3 panélistes, corrigées par Parrique et Schulz.
Heureusement, dans tout cela, le public a largement applaudi les démonstrations et les réponses de Parrique et, à part quelques flatteurs vivant aux dépens de ceux qui les écoutent, les discussions lors du cocktail qui a suivi étaient partagées entre la honte d’avoir offert un tel panel à Thimothée Parrique et la chance d’avoir eu ce genre de débat contradictoire, si rare dans un pays dont ce n’est pas la tradition, avec l’entre soi des élites et une forme de pensée unique.
En plus de l’absence du ministre de l’Economie, dont le sujet pourrait intéresser, malheureusement une autre absente de taille : la presse, à l’exception du média indépendant woxx.lu. Si les représentants des autres médias ont pu rencontrer Parrique en amont, ils n’ont malheureusement pas rendu compte de ces échanges pendant la table ronde qui aura montré à quel point les élites luxembourgeoises restent sourdes aux arguments scientifiques et continuent à s’agripper à une des rares choses qui fait leur bonheur : le pognon.
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