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Writer's pictureJoseph Chang

Un Front Populaire peut-il germer au Luxembourg ?

Après une période électorale intense dans le pays voisin, les forces populaires du Luxembourg sont confrontées à ce que leur renvoient les évolutions du champ politique dans le reste de l'Europe.





Ce 8 juillet 2024 les forces populaires du Luxembourg se réveillent avec soulagement. Le Rassemblement National (RN) de la dynastie Le Pen a été battu contre toute attente par les forces du Nouveau Front Populaire (NFP). Tout au long de la campagne l’actualité électorale de la France voisine a tout à la fois inquiété, inspiré et mobilisé les militant.e.s et la presse du Grand Duché. En effet au-delà des articles dans les journaux et des reportages à la télévision, c’est plus d’une quinzaine d’actions militantes qui ont été répertoriées dans le groupe whatsapp « Front Populaire antiraciste Luxembourg ». Porte à porte, tractage, boitage, meeting, au Luxembourg ou au-delà de la frontière en Moselle ou Meurthe et Moselle, les militant.e.s qui vivent au Luxembourg ont rendu honneur à l’idée d’internationalisme et à celle de la solidarité.

 

Bien sûr ce n’est pas que par idéal que la mobilisation s’est faite. Car la vague brune qui déferle sur l’Europe a évidemment des conséquences bien concrètes si elle déferle sur des territoires transfrontaliers. Ainsi la 3ème et 6ème circonscription de Meurthe et Moselle passe d’un mandat France Insoumise à un mandat Rassemblement National. La 3ème circonscription de Moselle pour sa part échappe elle aussi à la France Insoumise pour revenir dans le giron de la droite conservatrice. Cela aura évidemment des effets en termes de gouvernance transfrontalière, mais cela aura surtout des conséquences directes pour les travailleurs et travailleuses qui traversent chaque jour la frontière. Enfin il ne faut pas sous estimer l'effet d'entrainement que les progrès du RN peut déclencher chez d'autres forces réactionnaires en Europe, l'ADR en particulier. La crainte d'une victoire du RN dans le pays voisin a donc aussi joué dans la mobilisation des forces militantes luxembourgeoises.

 

En effet dès le 9 juin au soir des appels à attaquer les populations d’origine africaine ou maghrébine surgissaient dans les réseaux sociaux de Thionville et de ses alentours. Pour celles et ceux qui l’ignoraient la découverte a été glaçante lorsqu’iels ont compris qu’un groupe néo-nazi existe dans la circonscription thionvilloise. Chaque jour depuis le résultat des élections européennes des milices fascistes se sont constituées et ont attaqué physiquement des personnes sortant de la mosquée, des personnalités de gauche, des journalistes, des couples lgbtq, et ce dans tant d’endroits différents que le journal Mediapart s’est attelé à tenir un relevé quotidien de cette montée de violence. A l’approche des résultats du second tour les groupes fascistes se préparaient de nouveau à attaquer les forces populaires en Moselle ou en Meurthe et Moselle.

 

L’issue du scrutin et la mobilisation populaire contre l’extrême droite a déjoué leurs plans.

 

                Mais l’on aurait tort de croire que la Grande Région est tirée d’affaire pour autant. Déjà parce que même si l’extrême droite a échoué à prendre le pouvoir, elle s’est néanmoins considérablement renforcée dans les communes et campagnes côté français. L’enracinement des racismes, de la transphobie, de l’antisyndicalisme et du patriarcat débridé qui a été constaté là-bas ne s’est pas miraculeusement dissipé à l’issue d’une soirée électorale. En ce matin du 8 juillet Gaza est toujours le théâtre d'un génocide en cours. La Kanaky est toujours colonisée. Une élection ne suffira pas à changer la société elle-même. Ainsi  dans les rues de Thionville, le soir du 1er tour, alors que ses parents criaient « Vive Bardella », un petit garçon d’à peine dix ans confiait à son petit frère « tu sais les hommes ne sont pas pareils entre eux. Il y a des différences. C’est naturel ». C’est une triste preuve que la haine est là pour longtemps et soigner le mal que les idées réactionnaires ont déjà causé prendra de longues années.

 

 

                Que le Luxembourg ne se pense pas à l’abri de l’appétit de la bête immonde. Car là aussi les politiques néolibérales combinées à un continuum colonial loin d’être dépassé ont fait germer une extrême droite conquérante dans les urnes et dans la rue. Le résultat des élections européennes qui a vu l’ADR envoyer un député au parlement européen en est le dernier signal clair. Le résultat des élections législatives qui a vu l’ADR en capacité de former un groupe parlementaire autonome, sans leur supplétif le parti Pirate, aurait pourtant déjà dû être une alerte suffisante. Mais la plus grosse source d’inquiétude aurait dû être le groupe whatsapp « Gare-sécurité » qui a vu un déferlement de rhétorique raciste allant des étrangers traités comme des animaux aux appels à envoyer l’armée pour nettoyer ce quartier populaire. Les responsables du LSAP qui se sont compromis en allant dans ces manifestations ont-ils abdiqué cette stratégie désastreuse qui consiste à combattre l’extrême droite en chassant sur ses terres ? La réponse tarde à venir.

 

                Et pourtant il y a urgence. Comme les exemples italien, néerlandais ou français le prouvent, laisser l’extrême droite déployer son argumentaire haineux dans les urnes, dans les médias et dans la rue a des répercussions catastrophiques. L’antiracisme ne va pas de soi, c’est un travail constant. L’anticapitalisme n’est pas non plus une évidence, et ce d’autant moins au Luxembourg où le parti Déi Lénk fait face à une érosion constante de ses résultats depuis plusieurs années. Or la combinaison de la hausse des inégalités et du continuum colonial accouche systématiquement des victoires de l’extrême droite. Le Luxembourg est plus exposé qu’il ne le pense car en France c’est bien la surmobilisation populaire qui a fait barrage à l’extrême droite, au Grand Duché un tel scénario n’est pas possible car les classes populaires sont dans leur écrasante majorité exclue du droit de vote.

 

                Il n’est pas exagéré de dire que les descendant.e.s des pays colonisés et des peuples réduits en esclavage sont à remercier dans cette défaite du RN. La question de leur appartenance pleine et entière au corps démocratique a été la question clivante de fond lors de cette séquence électorale. Dans cette nouvelle tripartition du pouvoir entre bloc populaire, bloc bourgeois et bloc réactionnaire, les descendant.e.s de l’immigration forment la frange la plus déterminée de ce qu’on peut raisonnablement appeler le nouveau tiers-état. L’héritage de la 1ère révolution sera approfondi et amélioré par ces gens là.

 

                Au Luxembourg la question clivante a été celle de l’accession des étranger.e.s mais aussi des transfrontalier.e.s à des droits politiques complets sur la richesse qu’iels produisent au Grand Duché. Ce qui sera en jeu sera bien évidemment l’héritage de la révolution avortée de 1918. L’apparition d’un Front Populaire au Luxembourg dépendra de la capacité des forces partisanes, syndicales et associatives du Luxembourg d’élargir le corps politiques à celles et ceux qui sont aujourd’hui les sans voix du pays.


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